#RDVAncestral – Baptême spatio-temporel

Photo de Andrey Grushnikov sur Pexels.com

Le téléphone sonne.

« Oui, allô, c’est moi. »

Moi, c’est ma mère. Enfin, le « moi » qui m’appelle c’est elle. Car moi, je reste moi. Enfin, je crois. Bref. Depuis mon article sur les objets de famille et son aide précieuse pour rassembler des morceaux du passé, une passion a envahi le domicile parental : la quête d’objets de famille. Je comprends rapidement au ton de sa voix qu’elle a réussi à dénicher un nouveau fragment ancestral.

Mon impression se confirme lorsque j’entends une vibration caractéristique dans la salle à manger. Synchronisation parfaite : je viens de recevoir la photo de la trouvaille.

« C’est un collier ayant appartenu à ma grand-mère. Je le portais dans ma jeunesse. »

Un très beau collier effectivement. Il n’aurait pas dépareillé parmi les précédents objets, d’autant qu’il est une fois de plus question de mon arrière-grand-mère : Clarice Righi. Tandis que ma mère me raconte dans quel tiroir elle a réussi à le débusquer, j’en profite pour agrandir la photo.

Je ne sais pas si c’est dû à la résolution de son appareil photo ou bien à celle de mon téléphone portable, mais le bijou me paraît étrangement réel. Alors que je le parcours de mon index sur l’écran tactile, j’en ressentirais presque les contours, et les aspérités. Pris d’un malaise, j’agrippe mon smartphone, le sentant m’échapper, puis je m’assieds. La voix de ma mère se fait lointaine, mais je parviens à maintenir le combiné à mon oreille.

Ces journées à la maison, confiné en attendant que la situation sanitaire s’améliore, doivent me taper sur les nerfs. J’inspire puis souffle longuement. Je reprends mes esprits. J’approche ma main droite de mon visage afin de contempler à nouveau la photo. Mais au lieu de mon portable, je tiens le collier au creux de ma paume. En redressant la tête, je réalise que je suis assis sur un banc, à l’ombre d’un platane, sur une place qui m’est inconnue.

Des cloches retentissent et j’aperçois au loin des inconscients qui se prennent dans les bras et s’embrassent. Parmi eux, un vieil homme se détache du groupe, certainement apeuré par les risques inconsidérés dont fait preuve ce « cluster » en devenir. Cependant, le vieux monsieur vient s’assoir à mes côtés, et je suis sûr qu’il ne respecte pas une distance suffisante. Je crois m’évanouir lorsqu’il est pris d’une quinte de toux caverneuse. Ils sont bien loin les gestes « barrière ».

« Pépé, ne reste pas là », dit d’une voix à l’accent provençal très chantant un jeune homme d’une vingtaine d’années, dont l’allure m’est étrangement familière. Il me salue d’un coup d’oeil avec une malice dans le regard que j’aurais reconnue entre mille… Mon grand-père. Mais comment est-ce possible?

« Vous êtes venu pour le baptême de la petite? Votre tête me dit quelque chose. Vous êtes un cousin? »

Ne sachant quoi répondre, paralysé par la situation, je comprends finalement -il aura fallu un peu de temps- que je ne risque pas d’être contaminé par une épidémie qui ne verra le jour que dans soixante-treize ans. J’accepte donc de me lever et de recevoir une tape amicale dans le dos de la part de celui que je n’ai pas revu depuis près de 6 ans. Comme tout ceci est étrange.

Son « pépé », c’est Laurent Désiré PUMENT, mon SOSA 26, qui décèdera quelques semaines plus tard.

Ils sont tous là. Si j’avais pu conserver mon smartphone, je les aurais mitraillés de photos, saoulés de vidéos. Qui sait, j’aurais peut-être même inventé le selfie ancestral. C’est beau de rêver, mais dans ma main, je tiens fermement ce collier familal, que j’observe de temps à autre, de façon machinale.

« Alors c’est vous qui l’avez?! François! François! Redresse-toi, ce jeune homme a mis la main dessus! »

Clarice. Là. Devant moi. Le sourire aux lèvres. Radieuse. Brusquement ses yeux traduisent une attente. Je comprends. Elle veut son collier. Dois-je la prévenir qu’il risque de se transformer à nouveau en smartphone? Qu’importe. Je lui tends l’objet tant espéré et ma SOSA 15 finit par retrouver le sourire.

En observant tout autour, je vois que je suis au centre des regards. Ma grand-mère s’approche de mon oreille :

« Alors, petit merluchon, on ne fait pas un bisou à sa mamie? »

Les yeux embués, je comprends qu’ils m’ont tous reconnu. Le bébé me regarde fixement et se met à murmurer puis à crier de plus en plus fort : « Jean-François! Jean-François! JEAN-FRANCOOOOOIS!!! »

Je suis assis sur ma chaise, dans la salle à manger, le combiné à l’oreille. De retour au XXIème siècle, avec ma mère qui hurle dans mes oreilles, tentant vainement d’obtenir une réponse de ma part. D’un bref « oui » je stoppe cette incantation mystique de mon prénom.

« Ah bon, quand même! Non mais tu sais depuis combien de temps je crie ton nom? »

Je souris et lui rétorque : « A peu près 73 ans, je pense. »

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