#ChallengeAZ (2020) – E comme Endogamie

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endogamie (n.f.) : Obligation, pour les membres d’un groupe social défini (tribu, lignage, etc.), de contracter mariage à l’intérieur de ce groupe.

La généalogie mène à différentes disciplines, j’avais déjà pu m’en rendre compte. Jusqu’ici c’est souvent l’Histoire dans laquelle j’ai cherché des pistes pour étoffer mon propos. Mais désormais c’est l’aspect sociologique que je souhaiterais aborder avec vous.

Lorsque j’ai commencé à travailler sur ma généalogie paternelle, je sortais tout juste d’une longue période de travail sur ma généalogie maternelle avec tout ce qu’elle comportait de migrations italiennes, haut-alpines, normandes et parisiennes. Hormis sur mes branches « souches » il était finalement peu courant de parcourir l’histoire d’une famille sans connaître d’importantes pérégrinations géographiques.

Voici pourquoi, pour en revenir à mes ancêtres du Nord Pas-de-Calais, les recherches m’ont paru plus simples a priori : une faible proportion de « migrants » et le sentiment répété que mes SOSA ne trouvaient l’âme soeur que dans un périmètre restreint. Toutefois, si vous avez eu l’occasion de lire mon article d’hier concernant la commune de Denain, incontournable dans mon histoire familiale, vous aurez pu constater qu’elle n’a joué au final qu’un rôle de rassemblement de personnes issues de communes différentes. Mais qu’en aucun cas mes ancêtres n’en étaient originaires.

L’exemple de Denain, en lien avec son développement économique brutal, est-il unique? Mes ancêtres se mariaient-ils principalement avec des locaux, voire des voisins? Le ressenti est un outil naturel pour orienter des recherches, mais lorsqu’on veut étudier les comportements sociaux de nos ancêtres, rien ne valent les chiffres. Alors, comment procéder?

En premier lieu, quand on parle d’endogamie, on parle de quoi exactement?

Tout dépend de ce qu’on définit comme étant le groupe de référence. On peut certes s’intéresser à l’endogamie sociale, qui consiste à se rapprocher majoritairement des personnes de sa classe sociale, de sa profession, de son milieu. On peut également porter un regard attentif sur l’endogamie religieuse, lorsqu’on se choisit un époux/une épouse parmi ses correligionnaires. Mais j’ai fait le choix de me pencher principalement sur l’endogamie géographique, que je juge plus significative lorsqu’on étudie une époque où les différences religieuses ou sociales (du moins dans ma famille paternelle) étaient infimes voire inexistantes.

Comprenons-nous bien : je n’établis pas une équivalence entre endogamie et implexe, même s’il est certain que la première augmente la probabilité d’apparition du second. Les populations n’étant pas infinies : plus je me marie avec des personnes des alentours et plus je suis susceptible d’épouser un cousin. Mais ce ne sera pas le propos ici.

Quelle méthode pour étudier l’endogamie géographique?

Tout d’abord, il faut recenser ce que l’on sait concernant l’origine des époux à chaque génération. L’objectif étant d’analyser les différences, seuls pourront être pris en considération les couples dont les deux origines sont connues. Puis l’idée pourrait être de déterminer la distance approximative à pied séparant les centres des deux communes d’origine.

Qu’est-ce que l’origine d’un époux? Dans l’immense majorité des cas c’est son lieu de naissance. Mais ce n’est pas toujours si évident. Ce serait trop simple, vous vous en doutez. L’an dernier j’évoquais l’histoire de ma grand-mère paternelle et de sa maman, qui avaient toutes deux la particularité d’être nées en région parisienne, sans y avoir grandi très longtemps d’autant plus que leurs parents n’avaient aucun lien familial avec ce territoire. Il n’est donc pas possible de définir Stains ou Domont comme leurs lieux d’origine respectifs. Dans ces cas précis, j’ai fait le choix du lieu de vie usuel de la famille et/ou de naissance de la fratrie.

Le cadre d’étude ayant été délimité, au final quels sont les résultats?

En calculant la « distance nuptiale » (sympa, n’est-ce-pas?) moyenne par génération (la génération II étant celle de mes grands-parents), voici ce que l’on obtient :

GénérationDistance moyenne (km)
entre les communes d’origine de chaque époux
II11
III7,5
IV23,8
V3,5
VI8,6
VII9,3
VIII20,1
IX5,0

A première vue, ce résultat est loin d’être intuitif. Serait-on moins endogame à la génération IV, celle de mes trisaïeuls, qu’à celle de mes grands-parents? Et que penser de cette génération VIII qui explose tout modèle prévisionnel? A vrai dire, c’est là que le concept de moyenne connaît ses limites. En effet, pour ces deux générations surprenantes, c’est la présence respective d’une seule distance beaucoup plus élevée que les autres qui pousse à ces valeurs hors-normes.

A la Génération IV, lorsque Henri Jean-Bapiste HAVEZ parcourt 75 km depuis son Merville natal pour épouser la Denaisienne Célina VANESSE, il ne s’imagine pas qu’il allait faire planter cette démonstration. Et que dire du cas de Toussaint Joseph VELU en Génération VIII, qui, parti de Bolland en Belgique, épouse Marie Françoise BRISSOT/BRISSAUX, originaire de Louvignies ce qui les fait tous deux rire à gorge déployée en pensant aux 175 km qui séparent leurs lieux d’origine?

Plus sérieusement, pour s’en sortir, deux options s’offrent à nous.

Première option : on retire arbitrairement les valeurs excessives

Et donc on ne tient pas compte des deux exemples cités plus haut. En conséquence on obtient une moyenne de 6,7 km pour la Génération IV et de 8,2 km pour la génération VIII, ce qui semble plus cohérent. Mais alors cela signifie qu’il faut faire également l’exercice pour toutes les autres générations alors que le concept de valeur excessive n’est pas toujours simple à établir.

Deuxième option : on se sert d’un outil imparable en mathématiques : la médiane

La médiane? Oui, cela consiste à ranger de façon croissante les valeurs des individus d’un échantillon donné (ici les distances « nuptiales ») et à retenir uniquement la valeur qui se situe au milieu de cet échantillon. Démonstration :

GénérationDistance médiane (km)
entre les communes d’origine de chaque époux
II11
III7,5
IV10
V0
VI1,5
VII0
VIII0
IX2

Et là le résultat est très éloquent et s’explique assez facilement par une donnée qui ne transparaissait pas dans le calcul de la moyenne mais qui prend tout son intérêt ici : la proportion de couples d’ancêtres issus de la même commune d’origine. Ceux qui ont donc une « distance nuptiale » de zéro, et qui peuvent représenter près de 60% des unions pour certaines générations.

Quand je vous dis qu’une moyenne, c’est trompeur…

Bien entendu, cela ne change rien pour les générations II et III, composés d’un nombre si faible d’individus que la médiane égale la moyenne. Mais nos générations hors-normes IV et VIII se lisent désormais tout à fait différemment.

Pour terminer sur ces considérations statistiques (barbantes, je sais), je souhaiterais attirer votre regard sur une génération tout à fait remarquable par ses valeurs de distance moyenne et de distance médiane : la Génération V. Il s’agit d’une génération avec peu de mouvements et sans distances excessives parcourues, qui contraste avec la génération qui la précède.

J’appellerais cette génération, dont les mariages s’échelonnent de 1863 à 1885, une génération d’attente. Pourquoi cela?

Le Nord Pas-de-Calais assiste inexorablement à la fin d’un siècle, à la fin d’une époque et deux cas de figure peuvent se recontrer.

Dans le premier cas, il s’agit de familles qui vivent leur derniers instants dans leur localité historique, se raccrochant à des repères locaux, en attendant des mouvements plus accentués à la génération suivante, marquée par les bouleversements du début du XXème siècle.

Deuxièmement on retrouve des familles ayant déjà migré pour travailler dans les industries nouvelles et qui fondent un foyer dans ce qui est et sera leur nouvelle commune.

Il y a tant à dire sur ces analyses chiffrées de la vie nos ancêtres…

A titre de comparaison, je tenterai à l’avenir le même exercice sur ma branche maternelle. Et vous avez-vous déjà tenté de mesurer l’endogamie au sein de votre arbre généalogique?

20 commentaires

  1. Le problème en mettant comme lieu d’origine celui de la naissance est que cela peut faire une distance nuptiale énorme.
    Exemple : mon père est né dans le 93, ma mère en Tunisie. Mais quand ils se sont mariés, ma mère vivait dans le 91.
    Autrement, ton étude est intéressante et j’ai bien envie de faire la même 🙂

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    • Merci beaucoup pour l’intérêt porté à ma réflexion. Concernant ta remarque je suis tout à fait d’accord : justement, c’est pour cela que j’affirme ne pas m’être toujours basé sur le lieu de naissance avec l’exemple de ma grand-mère et de sa propre mère nées toutes les 2 en région parisienne sans n’avoir aucun lien avec cette région. Je me suis plutôt dans ces deux cas-là basé sur les lieux de naissance de leurs fratries respectives. Dans tous les cas c’est très difficile à appliquer à notre génération à nous, où la notion de lieu d’origine est encore plus floue, vu nos moyens de transport modernes et rapides. J’en veux pour exemple mon cas personnel qui rejoint un peu ton exemple : né dans le 49, mais ayant grandi dans le 54 avec un père du 59 et une mère du 83… je m’attribuerais le 54 comme département d’origine mais parce que je connais ma vie (j’espère du moins 😂)mais je plains mes descendants qui voudront m’étudier en ayant juste mes actes NMD et ceux de mes parents😁

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  2. J’ai fait des statistiques sur les lieux de mariage par rapport aux lieux de naissance (quelle commune choisissaient les mariés) mais pas en terme de distance et d’endogamie géographique.
    Merci, j’adopte l’idée et je retiens la médiane, que je vais tester des que possible.

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  3. Pour mon cas (et aussi celui de beaucoup de Réunionnais) l’endogamie est très fortement présente et s’explique par l’éloignement géographique de l’île (peu de passages) et du petit nombre d’habitants dans les premières années de la colonie. Si bien que de nombreux Réunionnais sont cousins éloignés.
    Personnellement je corrigerais la définition (même si c’est celle du dictionnaire) pour dire que l’endogamie est un fait ou une pratique (de contracter mariage entre individus du même groupe) mais pas forcément une obligation.

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  4. Interessant comme concept. Si je pense à ma branche paternelle, me aïeux sont venus d’Allemagne et la Belgique via le Luxembourg. Puis grosse pause de 150 ans en Meurthe et Moselle, puis descente inexorable vers l’Eure et Loir en passant par la Seine et Marne. Depuis 1980, c’est l’explosion tout azimut en France et dans des pays très lointains (US, Chine, Nlle Calédonie, Martinique). Difficile de faire une mesure de ce genre, ou alors sur une période limitée.

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  5. Pour reprendre un de tes termes, ça peut paraître « barbant » au premier abord si, si. Mais c’est finalement très intéressant et super bien expliqué, ça se lit tout seul. Je vais reprendre une aspirine quand même… 🙂

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